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Normandie impressionniste: naissance de l’art moderne ?

Événement culturel majeur de l’été 2010 en France, le festival Normandie Impressionniste célèbre l’impressionnisme du juin à septembre 2010 sur tout le territoire normand (Programme du Festival) Avec, tête de proue de ce festival, l’exposition « Une ville pour l’impressionnisme: Monet, Pissaro et Gauguin à Rouen » proposée par le musée des Beaux-Arts de Rouen et qui présente un ensemble exceptionnel d’oeuvres en provenance de collections publiques et privées du monde entier, dont plusieurs pièces maîtresses encore jamais exposées en France.


Claude Monet (1840-1926), Impression, soleil levant, 1872, huile sur toile, 48x63cm, Musée Marmottan, Paris.

On le sait: L’impressionnisme tire son nom d’un tableau de Claude Monet, Impression, soleil levant, peint au Havre en 1872 et accroché du 15 avril au 15 mai 1874 dans l’exposition collective organisée à l’initiative du peintre Degas dans le studio du photographe Nadar, à Paris, 35 boulevard des Capucines. En choisissant ce tableau pour cible de ses railleries et en qualifiant d’impressionnistes les adeptes de cette manière de peindre, le critique satirique Louis Leroy révélait involontairement aux lecteurs du Charivari la naissance d’un courant pictural en quête de lumière, de plein air et d’impressions fugitives, et témoignait de l’origine géographique de ce mouvement annoncé de loin par une longue suite de peintres, Gustave Courbet, William Turner, Eugène Boudin entre autres.

Eugène Boudin, Nuages blancs, ciel bleu vers 1854-1859, pastel sur papier 14,8 x 21 cm, Honfleur musée Eugène Boudin/ photo H.Brauner

Jacques-Sylvain Klein, commissaire général du festival, souligne que l’impressionnisme, qui est l’expression même de la peinture claire, n’est pas sorti, comme on le dit souvent, de la sombre forêt de Barbizon, où se retrouvaient les peintres naturalistes. Quel paradoxe ce serait! Cette peinture du moment fugitif est née sous les ciels capricieux de la Normandie, le long de ses rivages lumineux et de ses vallées verdoyantes. Sans doute a-t-il raison. A condition de ne pas oublier la place retrouvée du motif pour les peintres de la forêt de Fontainebleau.

Mais insistons plutôt sur ceci: si l’impressionnisme est manifestement l’expression même de la peinture claire, l’aborder sous cet angle, habituel, n’est peut-être pas la meilleure des façons, même si c’est la manière la plus populaire. Car, fondamentalement, le désir des impressionnistes n’est pas tant de peindre à partir d’une palette qui, débarrassée du noir et des bitumes, est inondée de lumière, que de saisir une impression fugitive (« moment fugitif  » dit justement Klein). En d’autres termes, l’objectif premier des peintres qui ont posé leurs chevalets en Normandie n’est pas de peindre la lumière mais de saisir le temps. Sauf que pour saisir le temps, les peintres qu’ils sont n’ont à leur disposition que la lumière.

Pour comprendre l’impressionnisme, il est donc essentiel de bien ordonner la quête de ses représentants: si ces derniers sont révolutionnaires, ce n’est pas parce qu’ils peignent la lumière (car toute la peinture est au service de la lumière) mais l’aspect extrêmement différent que peut prendre un motif suivant les conditions de la lumière et donc des heures du jour. Cela revient à dire qu’ils sont à la recherche du temps qui passe et que pour exprimer ce temps qui passe ils n’ont qu’un moyen: penser la lumière. Exemple magistral entre tous: la série des Cathédrales de Rouen peinte par Claude Monet au cours des années 1890. Monet en peint 28 versions distinctes, réalisées avec une lumière variable en fonction des différentes heures du jour et des conditions climatiques de l’instant.

A partir de là, une question essentielle est posée: où commence l’art moderne ? Avec l’art dit « abstrait » ou avec l’Impressionnisme ? Avec Vassily Kandinsky ou avec Claude Monet ? Autrement dit avec Monet ou après lui ? Il nous semble indéniable que Monet est le père de l’art moderne, incluant lui-même l’art abstrait. Comme achèvera de nous le prouver la série des Nymphéas, notamment les huit grandes compositions de l’Orangerie, à Paris. C’est d’ailleurs à l’Exposition des impressionnistes français à Moscou, en 1895, que Kandinsky, alors jeune attaché à la faculté de droit, peintre amateur, rencontra véritablement la peinture en observant une meule de foin peinte par Monet.

Construction d’une meule, Fresney-le-Long, film d’André Nouflard, 1926, 9.5mm © Mémoire audiovisuelle de Hte-Normandie de Jumièges, Cinéma en plein air 16 et 18 juillet 2010

« Ce qui s’en dégagea clairement, c’est la puissance incroyable, inconnue pour moi d’une palette qui dépassait tous mes rêves. La peinture m’apparut comme douée d’une puissance fabuleuse. Mais inconsciemment, l' »objet » employé dans l’oeuvre en tant qu’élément indispensable perdit pour moi son importance. » (Vassily Kandinsky)

Vassily Kandinsky (1866-1944), Aquarelle abstraite, 1910, Aquarelle sur papier, 50 X 65 cm, Musée national d’Art moderne (Centre Pompidou), Paris.

Monet – et, avec lui, tout l’impressionnisme – père de l’art moderne ? Oui. car c’est avec lui que l’art de l’espace qu’est la peinture va basculer dans un art du temps. Ou plus exactement, c’est Monet qui nous montre que si la peinture a toujours été préoccupée par le temps (mais un temps immobile ou abstrait comme l’atteste la perspective du Quattrocento), c’est avec l’impressionnisme qu’elle lui donne la priorité aux dépens de l’espace. Comme si la peinture avait pour devoir de rendre compte des intermittences du temps. Comme l’art tout entier.

C’est ainsi que Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, célébrera Elstir, autrement dit Monet. C’est d’ailleurs en Normandie, à Balbec (Cabourg dans la réalité) que le narrateur de la Recherche rend sa première visite au peintre.

Cabourg, mai 2009, Olivier Mériel © "Olivier Mériel, Lumière Argentique", "L'Impressionnisme au fil de la Seine : De Renoir et Monet à Matisse", Musée des Impressionnismes de Giverny, 5 juin au 31 octobre 2010

Le temps vainqueur de l’espace ? La formulation est trop lapidaire pour être juste. L’espace et le temps sont dépendants à tout jamais. Il n’en est pas moins vrai que la modernité a fait du temps sa préoccupation première. Ainsi, c’est la priorité donnée au temps qui va faire du cinéma un art véritablement moderne. Comme, chez Jackson Pollock, où le temps de la peinture accouche de l’espace de la toile.

B. RUELLE

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